MENACE SUR LE VOLONTARIAT

AOL, une entreprise basée sur le volontariat

1985. Alors que le grand public n'a encore jamais entendu le mot Internet, America Online, à l'époque Quantum Computer Services, lance son premier service en-ligne, Q-Link. Très rapidement, l'année même de son lancement, QCS découvre l'énorme potentiel du volontariat. Appelés "leaders de communauté", des volontaires animent forums et salons de discussion, orientent les utilisateurs perdus ou encore répondent aux questions techniques posées par les nouveaux venus...

Rédaction: Mind le 21 septembre 2000.

AOL, une entreprise basée sur le volontariat

1985. Alors que le grand public n'a encore jamais entendu le mot Internet, America Online, à l'époque Quantum Computer Services, lance son premier service en-ligne, Q-Link. Très rapidement, l'année même de son lancement, QCS découvre l'énorme potentiel du volontariat. Appelés "leaders de communauté", des volontaires animent forums et salons de discussion, orientent les utilisateurs perdus ou encore répondent aux questions techniques posées par les nouveaux venus...

1989. Q-Link devient AOL. Le service est facturé à l'heure. Et les volontaires se révèlent une véritable mine d'or. En échange d'un compte gratuit, les gros consommateurs se voient proposer d'animer des forums et salons de discussion. Chaque participant à ces espaces virtuels est autant d'argent qui entre directement dans les poches d'AOL. Les volontaires, de leur côté, ont leur compte payé en échange de leurs quelques heures de bénévolat hebdomadaire. L'offre est rarement refusée; les factures dépassaient alors très fréquemment plusieurs centaines de dollars par mois.

1996. AOL adopte la facturation forfaitaire. Le nombre d'heures de connexion ne faisant plus varier la facture, les salons et forums de discussion perdent de leur intérêt. Les volontaires deviennent cependant plus que jamais un élément clé du fournisseur de services. Chaque volontaire ne coûte virtuellement plus que 21,95 $ par mois contre parfois plus de 500 par le passé. Les leaders de communauté se démultiplient et apportentent du contenu aux rubriques, modèrent les forums, s'occupent d'une partie de l'assistance technique, animent des évènements, rapportent les violations de service...

AOL est passé en 15 ans de petite société pionnière à multi-nationale brasseusse de milliards. L'entreprise récemment fusionnée avec Time Warner compte aujourd'hui plus de 10 000 volontaires pour près de 12 000 employés. Presque un volontaire par employé.

Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Jusqu'en 1999...

Une poignée de volontaires fait trembler le géant

1999. Quelques leaders de communauté recemment évincés du programme de volontariat pour insubordination commencent à s'interroger sur la légalité du système mis en place par AOL. Il est imposé à chaque volontaire un temps minimum de présence, un planning de travail, l'obligation de "pointer" et l'obligation de rapporter toutes ses interventions. Le groupe remarque également que les volontaires effectuent un travail similaire aux employés d'AOL. Se basant sur ces faits, ils établissent que la relation liant les leaders de communauté à AOL est en réalité une relation d'employeur à employés et qu'en conséquence AOL est tenu de respecter le code du travail et ainsi verser au moins le salaire minimum à ses volontaires.

14 avril 1999. Sept anciens leaders de communauté saisissent le ministère américain du travail.

25 mai 1999. Deux parmi ces sept portent plainte à la court fédérale de New York. Ils réclament le versement d'arriérés de salaire. Si AOL est condamné, 14 000 leaders de communauté seraient éligibles à la perception de dommages et intérêts. Les estimations actuelles s'élèvent à environ 10 000 $ par personne. Ce ne sont donc pas moins de 140 millions de dollars, plus d'un milliard de francs, qu'AOL pourrait être contraint de verser à ses volontaires. Le verdict est attendu en automne 2000.

Les jeux massivement multi-joueurs menacés

Ce procès n'a pas laissé indifférente l'industrie des jeux de rôle massivement multi-joueurs. Tous les JdRMMJs, sur le marché ou encore en développement, utilisent, ou comptent utiliser, de façon extensive le volontariat. Que ce soit pour répondre aux questions des joueurs ou pour organiser des quêtes, les volontaires remplissent aujourd'hui une fonction primordiale dans les mondes virtuels. Plusieurs développeurs, comme Raph Koster, font part de leurs craintes sur des listes de discussion, groupes de discussion ou encore sites web. Si le procès d'AOL venait à déclarer illégal le travail bénévole pour une société commerciale, des entreprises comme Origin, Verant ou Turbine seraient rapidement forcées de dédommager et payer leurs volontaires.

Origin cherche à se protéger

29 août 2000. Origin, propriété d'Electronics Arts, est la première à agir. Les relations étroites qui lient EA à AOL y sont sans doute pour beaucoup. Le programme de volontariat de son titre phare, Ultima Online, est en conséquence révisé et l'annonce suivante faite.

    À la lumière des évènements en court concernant les volontaires, à compter du 30 septembre 2000, nous ne fournirons plus de comptes gratuits ni autres valeurs ajoutées aux membres des programmes de volontariat d'UO. Ce changement affectera les membres de tous les programmes de volontariat (Counselors, Assurance Qualité, Intérêt...) Les volontaires qui participent à ces programmes ont été informés par courrier électronique des détails de cette transition. Si vous êtes membre d'un programme de volontariat mais que vous n'avez reçu aucun courrier, veuillez contacter votre coordinateur de programme. Les volontaires d'Ultima Online ont beaucoup apporté au jeu en répondant aux questions et soucis des joueurs, et en créant un environnement de jeu agréable et instructif. Les volontaires d'Ultima Online ont fait preuve ces dernières années d'un talent, d'une patience et d'une compassion exemplaires, créant un puissant réseau de joueurs aidant les joueurs. Nous remercions tous les volontaires, qui ont été une présence positive au sein de la communauté d'UO. Nous savons qu'ils continueront ainsi tandis qu'Ultima Online continuera à se développer.

Origin annonce dans ce communiqué l'abolition des privilèges de ses volontaires. En agissant ainsi, la firme d'Austin espère pouvoir faire valoir en cas de poursuite judiciaire que ses volontaires ne sont aucunement des employés compensés mais bien de véritables bénévoles. Le système de compte offert se retourne en effet contre AOL. Les plaignants cherchent à démontrer qu'en payant les comptes de ses leaders de communauté, AOL fait d'eux des employés compensés et est donc soumis au code du travail et en conséquence obligé de respecter les salaires minimums et de verser tous les arriérés que cela implique.

La révision du programme de volontariat d'Ultima Online comporte également une clause obligeant les volontaires à respecter une pause de trois mois tous les douze mois. Le code du travail américain fait en effet de tout bénévole un employé s'il travaille plus de douze mois sans au moins trois mois de pause.

Ces changements au programme de volontariat sont malheureusement pour Origin à double tranchant. Bien qu'indispensables pour se prévenir de futurs problèmes, la fin des privilèges représente un danger non négligeable. Définitivement une source de mécontentement chez les volontaires et mettant en avant le procès d'AOL, cette réforme risque, plus que toute autre chose, de précipiter Origin devant les tribunaux.

Et l'inévitable se produit

19 septembre 2000. Ce qui devait arriver arriva. Défendus par James Schmehl de Schmehl, Yowell & Mackler, P.C, l'ancien Shard Lead Counselor Terendil et deux autres ex-volontaires d'Ultima Online saisissent la court de justice du Colorado pour réclamer à Origin le versement d'arriérés de salaire égaux à trois fois le salaire minimum américain, soit 15 $ par heure, plus de 100 francs. Cette action faite sous forme de recours collectif devrait réunir entre 5 et 15 plaignants avant l'attestation de l'affaire par le juge. Par la suite, entre 4000 et 6000 volontaires et anciens volontaires pourraient potentiellement s'associer à l'action.

Des conséquences encore incertaines

La perte de ce procès pourrait coûter très cher à Origin et Electronics Arts. Avec plus de 4000 participants au seul programme de Counseloring depuis 1997 dont encore 500 actifs, OSI/EA pourrait avoir à débourser entre 5 et 20 millions de dollars (ou même plus).

UO a engendré en 3 ans environ 40 millions de dollars pour une marge bénéficiaire ne dépassant pas les 50 % (en étant très large). Il a ainsi rapporté un grand maximum de 20 millions de dollars (sans doute plus proche de 10-15 millions). On comprend alors facilement que ce procès pourrait coûter à OSI/EA plus qu'UO n'a jamais rapporté.

Chose encore plus importante, une défaite d'Origin aurait des retombés sur l'ensemble des jeux massivement multi-joueurs utilisant des volontaires ou comptant en utiliser. Si Origin perd, ce sera rapidement au tour de Verant/Sony (EverQuest) et Turbine/Microsoft (Asheron's Call) de devoir dédommager leurs volontaires.

Un tel verdict signifierait de grands bouleversements, tous dictés par la disparition des volontaires. Deux grands scénarios se dessinent déjà.

1) Les volontaires disparaissent et ne sont pas remplacés. Le personnel payé, surchargé, ne peut répondre qu'aux situations d'urgence (personnage bloqué, harcelèment...). Répondre aux questions sur le jeu est laissé au soin de tout à chacun. Le prix de l'abonnement ne change pas. La qualité du support diminue.

2) Les volontaires disparaissent et certains sont remplacés par du personnel payé. L'abonnement augmente. En fonction de l'augmentation (pensez à une marge allant de 15$ à 30$ par mois), la qualité du support diminue sensiblement, reste stable ou augmente.

Dans les deux cas, ce sont les joueurs qui pâtissent en premier lieu de la situation.

Le scénario catastrophe

Ce procès est le second de l'histoire d'Ultima Online. Le premier, en 1998, conduit par un groupe de six joueurs insatisfaits par les performances du jeu accusait Origin de rupture de contrat et de publicité mensongère. Les deux partis avaient finalement trouvé un terrain d'entente; les plaignants abandonnaient leurs poursuites en échange de quoi Origin versait 15 000 $ au San Jose Tech Museum of Innovation.

Il faut savoir que si les jeux massivement multi-joueurs peuvent sembler financièrement très intéressants, les éditeurs ne voient pas les choses de la sorte. Traditionnellement, ils attendent d'un hit PC un bénéfice d'environ 300%. Les JMMJ atteignent extremment difficilement les 50%. Cependant ces bénéfices, contrairement aux jeux conventionnels, se répètent mensuellement. Malheureusement, les éditeurs sont des mastodontes tout aussi lent que puissant qui continuent à préfèrer la sûreté et l'immédiateté d'un Tomb Raider 5 ou d'un Quake 3 à un jeu massivement multi-joueurs.

Si Origin venait à perdre ce nouveau procès, Electronics Arts pourrait très bien revoir de façon négative son jugement sur les jeux massivement multi-joueurs, voir même remettre en question la viabilité du genre. Dans un tel scénario, les budgets d'EA alloués à Origin pourrait très bien être revus à la baisse et, dans le pire des cas, la mort d'Ultima Online et/ou Ultima Worlds Online: Origin décidé.

De façon plus générale, beaucoup d'éditeurs risquent d'être amenés à revoir leur position sur les jeux massivement joueurs. De gros projets comme Star Wars Online ou Dungeon and Dragon Online n'en patiront sans doute pas, mais les "petits" à la recherche d'une maison éditrice risquent plus que jamais de se heurter à un mur.

En attente d'un délibéré

Si l'affaire est attesté par le juge, le procès durera fort vraisemblablement plus d'un an. Cependant, le procès contre AOL se termine et son verdict devrait arrivé avant la fin de l'année. Si AOL l'emporte, tout laisse croire qu'Origin gagnera également. Par contre, dans le cas d'une condamnation d'AOL, c'est la condamnation d'Origin qui devient quasi certaine. Le procès d'AOL, augure du procès d'Origin, devient plus que jamais une affaire à une suivre de près.

Avancée du dossier fin Janvier 2003

Récemment le procès a évolué, la cours penchant en faveur des plaignants, cette action résultant du fait qu'OSI:
(1) n'a pas versé de salaire minimum correspondant à toutes les heures effectuées (dans la limite de 40h par semaine comme décrit dans les Fair Labor Standards Act of 1938 (et amendements en découlant)) aux 4000 participants à leur programme de Conseillers (incluant les Conseillers, Conseillers Seniors, les Conseillers Seniors Assistants,...), et
(2) n'a pas versé les salaires correspondants aux heures supplémentaires au delà de ces 40 heures hebdomadaires (payées à 150%) à ces mêmes participants.

Document complémentaire :
La plainte déposée par trois anciens volontaires d'UO contre Origin (en anglais)

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